Merci de nous rencontrer Tom, et pour votre film émouvant. Quand l’idée de commencer à documenter Frank Bey a-t-elle vu le jour ?

Après avoir entendu Frank chanter en personne et avoir vu combien le public était réceptif, j’ai senti que nous avions un merveilleux sujet à suivre. Au cours des deux années et plus où nous avons filmé Frank, mes sentiments initiaux n’ont fait que se confirmer. Frank est devenu plus qu’un sujet pour moi ; il est devenu un ami cher.

Vous avez une co-réalisatrice, Marie Hinson. Parlez-nous de cette collaboration, dans l’écriture, les choix de mise en scène, etc.

J’ai rencontré Marie pour la première fois lorsque j’ai passé une audition pour son film de thèse de Maîtrise en Beaux-arts, un exercice requis par son cursus de cinéma à Temple University. Cette audition a été l’une des meilleures de ma vie. Jouer sous sa direction était merveilleux ; elle avait une vision claire de l’histoire qu’elle voulait raconter et m’a donné une direction très claire et sensible.

Marie m’a ensuite invité à travailler avec elle sur un film improvisé qu’elle a réalisé à la campagne, en Virginie. Là aussi, tout a été très amusant, très inspiré Lorsque j’ai décidé de filmer le premier concert de Frank, le nom de Marie m’est immédiatement venu à l’esprit ; sa cinématographie était sans égale et se rapprochait de celle de professionnels de longue date. Comme ni elle ni moi n’avions jamais réalisé de long métrage, et encore moins de documentaire, notre expérience a été une sorte de formation sur le tas.

Nous avons collaboré dès le premier jour, en prenant des décisions sur la façon de suivre Frank, en créant puis en recréant des traitements, en développant l’arc du film, en nous concertant avant chaque déplacement sur ce que nous espérions obtenir lors du tournage et en poursuivant chaque tournage par une discussion approfondie sur ce que nous avions appris sur Frank, en assistant ensemble à des cours, des ateliers et des conférences pour en apprendre davantage sur la réalisation d’un long métrage, en discutant avec des cinéastes dont l’expérience pouvait nous éclairer, en nous inscrivant à des festivals dans tous les États-Unis, en interviewant des monteurs, enfin en discutant (et parfois en nous disputant) sur notre montage final. Ce fut un voyage merveilleux, bien que parfois ardu.

Frank Bey a laissé la caméra s’approcher, être intime, même. Comment avez-vous tous, y compris Frank, « négocié » ces moments, quel a été le processus pour décider que la caméra pouvait ou devait être là ?

Au début, nous avons demandé à Frank s’il accepterait que Marie le suive pendant un an; cette année a finalement duré deux ans et demi. Frank était ravi; il pensait qu’en montrant sa vie de chanteur de Blues relativement inconnu, il pourrait donner aux spectateurs des images rarement vues car la plupart voient un artiste sur une grande scène comme quelqu’un qui impose le respect, gagne beaucoup d’argent, est toujours en bonne santé.

Frank ait toujours été marginalisé, a vécu proche de la pauvreté et a souffert de problèmes rénaux chroniques, pourtant il ne s’est jamais plaint. La seule fois où il a insisté pour que nous ne le filmions pas, c’est lorsqu’il a rencontré un médecin qui lui a appris qu’il devait reprendre une dialyse; il craignait que cette entrevue soit trop émouvante pour être partagée, excepté avec sa femme. Sinon, la caméra tournait sans arrêt lorsque nous suivions Frank.

L’histoire de Frank est effectivement une histoire de résilience, comme vous l’exprimez dans la déclaration que vous avez partagée avec nous. Qu’est-ce qui vous a marqué ? A-t-il été, d’une manière ou d’une autre, un modèle à suivre ?

Frank est l’exemple même de la résilience, de la détermination et de la force intérieure. Qu’il ait pu donner un excellent spectacle devant des milliers de personnes, chanter en montrant tant de passion, de détermination, d’énergie pour, une fois descendu de scène, accepter son grand besoin de récupérer, m’a profondément touché.

Frank est devenu un modèle pour moi et je pense/espère qu’il en sera ainsi pour tous ceux qui verront notre film.

Vous avez filmé sur une combien de temps ? Comment avez-vous organisé vos équipes, et les personnes présentes (musiciens, autres participants…)? Pouvez-vous nous en dire plus sur le tournage proprement dit, dans ce sens ?

Nous avons passé plus de cinq ans à travailler ensemble. Marie et moi étions les principaux réalisateurs à planifier, suivre, tourner et revoir les coupes de notre travail avec Frank. Comme elle faisait partie de la petite communauté des cinéastes indépendants de Philadelphie, Marie engageait des équipes selon les besoins. L’équipe la plus réduite comprenait deux membres et la plus grande, huit. Les séquences sont toutes véridiques, nous n’avons jamais dirigé personne.

Nous avons interviewé les gens au fur et à mesure que nous les rencontrions, au gré des lieux et des événements. Nous avons loué un studio d’enregistrement pour la réunion du « Moorish Vanguard » et avons invité celles et ceux qui connaissaient le groupe à assister au tournage, mais personne n’a reçu de directives. Nous avons aussi loué un plateau de tournage pour l’interview de Frank qui court tout le long du film ; nous avons invité et interviewé une trentaine de collègues et amis de Frank, qui tenaient lieu de public pendant le tournage de l’interview de Frank, mais le seul montage qui apparaît dans le film, en plus de celui de Frank, est le court segment avec Barbara Bey.

Nous étions des « mouches sur le mur » pendant le tournage au studio Ocean Way à Nashville. Nous voyons notre film comme la fusion de trois fils : interviews, vérités et coupes d’archives.

Quelles sont les pistes pour la distribution et les projections du film ?

Nous espérons bien sûr que notre participation à votre festival nous permettra de trouver un public et par conséquent, peut-être un distributeur. Nous nous sommes approchés d’autres festivals et espérons qu’il en sera de même. Nous avons été en contact avec quelques agents de distribution à New York (avant le montage final) que nous contacterons bientôt.

Nous prévoyons de projeter le film au « Baden Blues Festival » (présenté dans le film), en Suisse, à la fin du printemps, et de nous rendre également aux Blues Music Awards à Memphis, où il y aura une aussi projection. Notre objectif est de présenter le film au plus grand nombre d’yeux possible, avec l’espoir que quelqu’un le découvre qui pensera comme nous qu’il mérite d’être vu par un large public.

Il semble que vous ayez réalisé Frank Bey : All My Dues Are Paid parce que Frank était votre ami. Cette expérience, au-delà du chagrin d’avoir dû le voir partir, vous a-t-elle donné envie de faire d’autres films ? Si oui, pourriez-vous nous parler d’éventuels projets à venir ?

Frank est devenu mon ami à la suite du tournage. Je crois que si on décide de faire un film, il faut se rendre compte que cela va coûter beaucoup d’argent et demandera beaucoup de travail. Il ne faut jamais dire jamais, mais je ne crois pas qu’à 72 ans, j’aurai envie de faire un autre film. À moins, bien sûr, que j’aie l’occasion miraculeuse de rencontrer un autre personnage qui m’inspire autant que l’a fait Frank Bey. Une fois que les choses se calmeront un peu, j’ai l’intention de me consacrer à nouveau à la musique, mais qui peut prédire ce que l’avenir nous réserve ?

Apprendre à connaître Frank, suivre et filmer sa vie pendant quelques années, le voir prendre une place à part entière dans mon cœur et dans ma vie est probablement une expérience unique. Je lui serai toujours reconnaissant d’avoir fait de moi un de ses amis proches, d’avoir pu participer au rêve de toute une vie, celui d’enregistrer un album avec certains des plus grands musiciens de notre temps. Je serai toujours reconnaissant pour les nombreuses conversations profondes et merveilleuses que nous avons eues.

Frank me manque encore beaucoup, mais il continue de vivre dans mon cœur. Et pour cela aussi, je lui serai toujours reconnaissant.

Quelle est votre vision du cinéma post-Covid, pensez-vous qu’il y aura des changements importants ?

Je pense que le streaming sera devenu un canal de distribution encore plus important pour les nouveaux films après la fin de la pandémie et qu’il éclipsera les présentations traditionnelles dans les salles de cinéma ; je trouve cette perspective assez triste, mais probablement inévitable.

BIO

TOM DWYER
PRODUCER AND CO-DIRECTOR

Il y a quinze ans, lorsque j’ai pris ma retraite après avoir été professeur d’anglais dans un lycée, je n’aurais jamais pu imaginer qu’un jour je produirais un long métrage documentaire sur l’une des personnes les plus extraordinaires que j’ai jamais rencontrées. Quel voyage !

Je suis né et ai passé la majeure partie de ma vie à Philadelphie et ses environs. J’ai fréquenté les écoles publiques de Philadelphie, l’Université Drexel de Philadelphie, et pris des cours du soir à l’Université Temple.

En 1972, lorsque j’ai commencé à enseigner l’anglais dans la banlieue de Philadelphie, j’ai réalisé que le cinéma pouvait parfois toucher les élèves en difficulté autrement que les livres. « On the Waterfront », « Rebel Without a Cause », « Triumph of the Will », « Harlan County USA » et bien d’autres grands films ont permis à mes élèves de faire l’expérience d’un grand nombre de pensées et de sentiments, me donnant des ouvertures pour des discussions qui auraient été difficiles à aborder autrement.

Pour équilibrer la nature trépidante de mon travail en classe, je me suis tourné vers la musique, une joie découverte dès l’âge de quatre ans. Tout au long de ma carrière, j’ai utilisé la musique pour créer un lien avec mes élèves : folk, rock, gospel, hip-hop, jazz, etc.; musique de Steeleye-Span, Eric Clapton, Paul Robeson, LL Cool J, Ella Fitzgerald et bien d’autres, musique et spectacles qui m’ont ému et dont j’espérais qu’ils susciteraient l’intérêt de mes élèves. La plupart du temps, mes espoirs étaient satisfaits.

J’ai fini par décider de prendre en compte mes propres besoins musicaux et ai auditionné pour une excellente chorale communautaire, où j’ai été accepté. J’ai répété le processus afin d’intégrer le Philly Pops Christmas Chorus de Peter Nero, de renommée mondiale, un moment fort de ma « carrière » de chanteur qui a duré 12 ans, jusqu’à l’arrivée du Covid. Parallèlement, j’ai étudié la guitare classique, le fingerstyle et le blues ; j’ai ensuite appris le bouzouki irlandais et participé à un certain nombre de sessions de musique traditionnelle irlandaise dans la région. J’aimais beaucoup ma classe et les élèves avec lesquels je travaillais, mais une autre partie de mon cerveau trouvait un plaisir profond et une grande satisfaction dans l’exercice de mes activités musicales.

Lorsque j’ai pris ma retraite, en 2006, j’ai passé une audition et été accepté pour un rôle par la chaîne de télévision câblée américaine History Channel, dans un film intitulé « Stealing Lincoln’s Body ». Le rôle et le travail induit m’ont incité à prendre des cours d’art dramatique qui peu après m’ont amené à plus de rôles, d’abord sur des productions d’étudiants pour la télévision et, plus tard, sur quelques productions hollywoodiennes.

En 2016, un ami m’a proposé de réaliser un film sur Frank Bey, un chanteur de Soul / Blues relativement inconnu qu’il avait entendu dans une foire dans le coin. J’ai immédiatement répondu : « Non !!! Faire un film c’est trop cher, et c’est trop trop de travail ! »

Mais, plus tard la même semaine, j’ai entendu par hasard la magnifique voix de baryton, si pleine d’âme de Frank sur un service de streaming, et j’étais convaincu.

J’ai contacté Marie Hinson, une directrice de la photographie avec laquelle j’avais travaillé, et l’ai invitée à engager une équipe qui réaliserait un court-métrage mettant en scène Frank en concert. […] Je lui ai alors demandé si elle serait intéressée par la réalisation d’un long métrage documentaire sur Frank et sa vie, qui montrerait la vie quotidienne et les difficultés d’un artiste de Blues inconnu. […]

Après avoir passé près de six ans à réaliser « Frank Bey : All My Dues Are Paid », je peux maintenant dire que tout l’argent dépensé et tout le travail fourni ont été l’occasion de l’une des expériences les plus significatives de ma vie.

Et qui sait, peut-être qu’un jour, dans un cours d’anglais d’un lycée américain, un professeur d’anglais choisira de montrer notre film, l’histoire et la musique de Frank, à ses élèves.

Links

https://www.imdb.com/name/nm0245545
https://www.frankbeymusic.com
https://allmyduesarepaidfilm.com

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