Morgan Cini, bienvenue au World Film Festival in Cannes ! Merci pour ce travail passionnant et pour vos magnifiques IMAGES. Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de ce projet ?

Il me semble difficile d’identifier précisément l’origine de ce projet. J’ai réalisé ce film en dehors des règles généralement établies dans le processus classique de réalisation d’un film.

C’est un processus qui a mûri au fil du temps et des différents voyages que j’ai effectués dans le monde entier pendant 11 ans dans un contexte de vacances.

Ma passion pour le cinéma étant ce qu’elle est, j’ai toujours voulu filmer des paysages qui me semblaient inspirants (paysages urbains ou naturels) dans les différents pays où j’ai voyagé, et ce pour deux raisons : je savais que je ne reviendrais probablement pas et je voulais pouvoir m’en servir un jour comme illustrations ou transitions dans un futur film, mais sans avoir d’idée précise de l’histoire que je raconterais.

C’est ainsi qu’au cours des 11 dernières années, j’ai accumulé des images provenant d’une dizaine de pays. J’ai peu à peu compris qu’il pouvait s’agir d’une matière première inestimable pour les scènes de souvenirs que j’allais créer.

Ces scènes de souvenirs m’ont donc naturellement conduit à une histoire empreinte de mystère et donc au genre du thriller que j’affectionne particulièrement.

C’était comme un puzzle. Pas à pas, les différentes pièces se sont mises en place et j’ai commencé à écrire le scénario dans ma tête en 2018, autour de l’idée d’un journaliste aventurier qui parcourt le monde pour son travail et qui se retrouve à devoir fouiller dans sa mémoire pour terminer le montage de son documentaire.

Je disposais donc déjà de séquences spécifiques avant même de filmer les scènes principales avec les acteurs. En même temps, je voulais écrire un scénario personnel, les images du monde s’intégrant naturellement dans la structure de mon histoire.

Pierre Baron est journaliste d’investigation et reporter pour MediaNews. Du Sri Lanka au Bangladesh, en passant par l’Afrique du Nord et le Brésil, il parcourt le monde à la recherche de sujets d’enquête. Sa motivation pour apporter la vérité à l’homme de la rue est-elle « parce que les FRANçais veulent savoir » ou simplement de traduire les criminels en justice ?

J’ai voulu imaginer Pierre Baron comme un héros français comme on n’en voit plus dans le cinéma français actuel. Le cinéma français que j’aime se situe beaucoup entre les années 1960 et 1980, lorsque les films de Belmondo, Delon, Ventura et Gabin représentaient les véritables héros de cinéma qui constituent notre patrimoine. Nous avons, à mon avis, perdu cette tradition. Mais je pense qu’un cinéma sans héros emblématiques est un cinéma qui manque d’ampleur et sans repères.

Vous avez souligné cette phrase « Parce que les français veulent savoir ». J’aimerais ajouter ce commentaire d’un autre journaliste qui parle aussi de Pierre comme du « journaliste de terrain français le plus populaire et le plus respecté au monde ». Ce que j’ai voulu montrer avant tout, c’est un aventurier français qui rayonne à travers le monde et quelqu’un qui ne recule devant rien pour traduire des criminels en justice. Le slogan de MediaNews auquel vous faites référence est donc la suite logique de la traduction d’un criminel en justice.
Le droit des citoyens à être informés et à connaître la vérité me semble aussi essentiel que la lutte contre la corruption.

C’est particulièrement vrai aujourd’hui, où la prolifération des médias sur internet ne permet plus aux gens de différencier clairement un fait d’une opinion.
Enfin, n’oublions pas une autre dimension importante, plus humaine et qui est au cœur de l’intrigue : présenter non seulement un journaliste, mais aussi sa relation avec sa femme à qui il doit en grande partie son succès.

Selon l’UNESCO, « le journalisme d’investigation consiste à dévoiler des faits dissimulés soit délibérément par une personne en position de pouvoir, soit accidentellement, derrière un faisceau de faits et de circonstances —et à analyser et exposer au public tous les faits pertinents. Le journalisme d’investigation contribue ainsi à la liberté d’expression et au développement des médias ».
Le Consortium international des journalistes d’investigation joue également un rôle à cet égard. Peut-on dire qu’il s’agit d’une profession en voie de disparition ? Dans quelle mesure est-il important de maintenir un niveau de sensibilisation aussi élevé que possible face à la situation géopolitique actuelle et à la montée des régimes autocratiques ?

Les questions géopolitiques que vous soulevez sont d’une telle dimension que je ne sais pas si, en tant que réalisateur, je suis le plus compétent pour y répondre.

Tout d’abord, il me semble que les artistes et les réalisateurs sont des « éponges » par nature. Ils et elles essaient de comprendre ce dont souffrent notre société et notre époque. Ils tentent ensuite d’apporter une réponse ou un commentaire par le biais du divertissement, en l’occurrence le cinéma, en ce qui me concerne.
Je pense que le métier de journaliste connaît actuellement une crise existentielle, causée par la multiplication des médias que je viens d’évoquer, qui en redéfinit complètement le sens.

Aujourd’hui, un Youtubeur avec une caméra qui couvre un sujet sur internet peut s’autoproclamer journaliste. Mais comment juger du niveau d’expertise de quelques journalistes débutants sur une chaîne YouTube et les comparer à d’autres journalistes qui exercent ce métier depuis plus de 30 ans au sein des médias de renommée internationale ?

De l’autre côté du spectre, les grands médias doivent aussi, et c’est une bonne chose, comprendre que les médias émergents sur YouTube sont susceptibles d’intéresser un public plus important parce que le public en question doute de plus en plus des déclarations faites par les médias officiels. Ils considèrent aussi que c’est politiquement orienté.

Nous en revenons toujours à la distinction essentielle que le journaliste et le public doivent pouvoir faire entre les faits et l’opinion sur un fait réel.

Malheureusement, les régimes autocratiques dont vous parlez concernent de nombreux pays dans le monde, parfois soutenus par des armées très puissantes.

Pour ces exemples précis, seul le réveil des peuples peut changer la démocratie, en l’absence d’un Pierre Baron en chair et en os !

Ces régimes trouvent également leur essence dans l’histoire même de la civilisation et de la culture de leur pays, lorsque la notion même de droits de l’homme et de droit à l’information constitue une menace existentielle. La réponse est donc complexe et nous devons garder à l’esprit que le monde est multipolaire et ne se limite pas à l’occident.

Pierre est sur son lit d’hôpital. L’intrusion d’un collègue le perturbe profondément, car il semble en état de choc et souffre de pertes de mémoire. Son collègue lui parle de sa femme Camille, qui a également disparu.
Pierre est dans le déni de la situation et en proie à l’angoisse. Il s’accroche à une seringue. Nous supposons qu’elle contient une injection létale. Par le coup de théâtre qui suit, nous apprenons que Pierre est dans le coma depuis quatre mois et que son collègue indiscret est en réalité lui-même et peut-être l’homme qu’il refuse d’être. Parlez-nous du journalisme d’investigation et de ses conséquences sur la santé mentale.

Je vais être honnête avec vous : je n’ai pas fait, et je n’ai pas voulu faire, de recherches sur la santé mentale des journalistes lors de l’écriture du scénario ou de la préparation de mon film. J’ai abordé le personnage de Pierre d’une manière différente, davantage dans une perspective humaine à laquelle tout le monde peut s’identifier.
Le public s’attache à Pierre pour ses comportements humains, ses colères, ses excès, son orgueil démesuré, ses faiblesses psychologiques et morales, et son désir de terminer son travail avant tout. Nous avons tous des idéaux et des faiblesses qui nous empêchent de les atteindre.

L’histoire nous permet surtout de nous identifier à Pierre Baron et au cauchemar schizophrène auquel il est confronté car nous avons tous en nous une dualité entre une partie vertueuse et son contraire.

Pierre est finalement tiraillé entre le désir de rester dans le ressentiment de sa rupture avec sa femme et le besoin absolu de la retrouver, quitte à finir sa vie dans un fauteuil roulant. Quelle ironie pour un journaliste qui a passé sa carrière à courir le monde !

Nous apprenons que Camille, la femme de Pierre, a décidé de réaliser avec lui un reportage sur l’eau et l’environnement. Le couple a fini par découvrir un scandale de pompes à eau en Égypte. Des tueurs à gages engagés par la société d’eau corrompue les ont poursuivis et Camille a disparu. Pour les journalistes d’investigation, la dimension urgente du travail au quotidien est un mode de vie qui prend le pas sur la vie de couple et la vie de famille. Croyez-vous qu’il s’agisse d’une vocation ? Combien de temps peut durer la carrière d’un journaliste ?

Je pense que le journalisme est un métier qui ne peut être que le résultat d’une vocation. C’est un métier auquel j’ai réfléchi parce que j’y vois des similitudes avec le métier d’artiste, notamment dans le fait de s’évertuer à comprendre le monde qui nous entoure et d’apporter un message ou une réflexion. Cette activité peut occuper notre esprit presque tout le temps, si bien que nous ne savons pas vraiment distinguer les moments où nous travaillons ou pas.

Je n’ai jamais oublié ce qu’un journaliste a dit un jour : « Je ne prends jamais de vacances parce que le monde ne prend jamais de vacances ».
Sans pour autant tomber dans l’excès, encore une fois, j’estime que le journalisme est proche de celui d’artiste en tant que profession. Nous cessons d’exercer ce métier lorsque nous pensons que nos capacités physiques ou mentales ne peuvent plus suivre.
Pour en revenir au cinéma, n’oublions pas que Cecil B. DeMille a filmé les Dix Commandements en Égypte transporté sur une civière ! Peut-être qu’un journaliste comme Pierre peut continuer à travailler depuis un lit d’hôpital tant que son esprit est intact, même s’il ne peut plus voyager !

Il y a la violence des flux d’informations, la pression exercée sur Pierre pour qu’il termine sa mission, et le reportage, au plus haut de ses priorités. En tant que spectateurs, nous ressentons le danger présent et la pression. Votre bande sonore joue également un rôle à cet égard. Elle s’avère extrêmement efficace pour créer l’atmosphère, maintenir le stress et la tension, et suspendre l’incrédulité. Quelle est l’importance d’une bande sonore ?

La bande sonore a fait l’objet d’un travail minutieux, notamment pour la scène d’ouverture qui consiste en un hommage à Pierre de la part du cercle journalistique.

J’ai engagé Jim Foster, un excellent monteur son, spécifiquement pour cette scène d’ouverture car je voulais des voix différentes, où un journaliste commençait une phrase tandis qu’un autre la terminait, pour créer une cascade de commentaires élogieux de ses pairs, illustrés par des images du monde entier.

La musique a été écrite par le compositeur Nicolas Neidhardt, dont j’aime beaucoup le style abstrait, poétique et épique. Il correspond si bien à l’univers que j’ai voulu pour Portée Disparue. C’est un compositeur qui travaille à Los Angeles sur des films importants. L’atmosphère oppressante que l’on ressent est pour beaucoup le résultat de son travail, qui s’inscrit parfaitement dans le genre du thriller.

Enfin, le sound design lors des scènes d’ouverture et de souvenirs a également fait l’objet d’un travail extrêmement poussé de la part du mixeur son Paul Bronze.
Il y a des images que l’on ne voit pas plus de deux secondes. Pourtant, nous avons opté pour un environnement sonore spécifique pour chaque pays à l’écran.

En 15 minutes, nous traversons 8 pays : le Brésil, le Canada, la Croatie, l’Égypte, les États-Unis, les Pays-Bas, le Sri Lanka et la République dominicaine, ce qui n’est pas typique de l’économie d’un court métrage. L’atmosphère devait donc correspondre à l’échelle et à l’exotisme que je souhaitais pour ces images du monde.

Parlez-nous de vos projets cinématographiques à venir.

Je prépare actuellement mon prochain film intitulé « Le Prototype ». Il s’agit d’un thriller d’anticipation qui se déroule principalement à New York. Je travaille également à l’écriture de deux longs métrages, un film d’aventure et un dessin animé d’aventure pour enfants.
Il s’agit de deux projets très ambitieux. Mais il est encore trop tôt pour en donner plus de détails.

Quelle est votre vision du cinéma post-Covid ? Pensez-vous qu’il y aura des changements notables ?

La période du Covid a incontestablement été une période très difficile pour le cinéma non seulement en France mais aussi aux Etats-Unis et peut être plus largement dans beaucoup de pays dans le monde.
Il a certes eu quelques rares effets positifs chez les scénaristes qui ont eu davantage de temps pour écrire chez eux.
Je me rappelle aussi durant le confinement de la gratuité de certaines chaînes de télévision spécialisées dans le cinéma qui m’ont permis de découvrir beaucoup de vieux films avec plaisir !
Plus sérieusement, ce sont les exploitants de salles qui ont beaucoup souffert, surtout aux Etats-Unis, avec certains cinémas qui ont dû fermer définitivement.

Je ne sais pas si la période post-covid nous montre de véritables changements dans l’industrie du cinéma.
Il y a une nouvelle tendance aujourd’hui chez les spectateurs, grâce aux plateformes de streaming à vouloir voir des séries et des films chez soi plutôt que d’aller au cinéma.
Et il est clair que le covid n’a pas inversé cette tendance…
Mais je reste convaincu que l’expérience du cinéma est irremplaçable et sacrée.
On ne peut pas appuyer sur pause, on ne se lève pas facilement pour aller aux toilettes ou pour aller manger, on ne peut pas parler fort, l’écran est plus grand et le son généralement meilleur. Et nous apprécions le film collectivement avec des inconnus.
En résumé, c’est le film qui s’impose au spectateur. Quand on regarde un film chez soi, c’est l’inverse. L’approche et le point de vue qu’on aura sur le film peuvent donc être très différents.
C’est à nous producteurs, réalisateurs et scénaristes de faire en sorte de proposer des films que les spectateurs voudront voir en salles, sans pour autant annuler l’offre que proposent aussi les services de streaming.

BIO

Biographie du réalisateur – Morgan Cini

Je suis producteur et réalisateur à Paris. Diplômé de l’ESRA ( Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle), j’ai effectué une quatrième année d’étude à New York en 2010.

Ces 14 dernières années, j’ai réalisé de la publicité et des films de fiction, dont une comédie qui s’appelle La Consultation (The Consultation) qui a remporté le prix du Fiction Award Winner au Central Illinois Feminist film Festival en 2022.

Mon dernier court métrage est un thriller psychologique qui s’appelle Portée Disparue (Declared Missing) qui a remporté à ce jour 15 prix dans le monde.

En plus de mon travail de réalisation et de production, je suis également script doctor pour des longs métrages de tout genre (récemment comédie, aventure, thriller et drame). J’aime aider les scénaristes, réalisateurs et producteurs à corriger leurs scénarios et à concrétiser leurs intentions.

Je suis aussi conseiller à la mise en scène sur différents courts-métrages dont une comédie buddy movie qui s’appelle Breakdown, réalisé par Gabriel Tibi et tournée à New York en 2022 dont j’ai co-signé le scénario.

Le film a connu à ce jour un énorme succès à travers le monde, remportant plus de 100 prix dans le monde, principalement aux États-Unis, et dans les catégories les plus prestigieuses (meilleur film, meilleure comédie, meilleur scénario, meilleure histoire originale, meilleur acteur et meilleure actrice).

Je développe actuellement mon prochain film, intitulé Le Prototype (The Prototype), un thriller d’anticipation et psychologique qui se déroule à New York.

Déclaration du réalisateur :

Soyons à la recherche d’images que le public n’oubliera jamais.

©2024 Isabelle Rouault-Röhlich

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