Best Musical Film
John Aylward, c’est un plaisir de faire votre connaissance ! Bienvenue dans cette interview avec le World Film Festival in Cannes. Vous avez remporté le prix du Best Musical Film. Toutes nos félicitations ! Quel serait votre message au festival et à votre public, en France et à l’international ?

Merci pour cet accueil chaleureux. Je suis honoré qu’Oblivion ait remporté le prix du Best Musical Film au World Film Festival in Cannes cette année. À toutes celles et ceux en France et dans le monde, je souhaite dire un immense merci pour votre intérêt et votre soutien. Les films indépendants ne sont pas faciles à faire naître, et c’est l’amour et la bienveillance venus des quatre coins du globe qui rendent des projets comme Oblivion si précieux.

Oblivion
Selon le Boston Globe, votre musique est « délicate et profonde à la fois », et Gramophone a qualifié votre œuvre de « mystérieuse, iridescente et audacieuse ». Que ressentez-vous face à de telles éloges ?

C’est très aimable. Je suis toujours ravi lorsqu’un grand critique remarque mon travail. Si souvent, les compositeurs et artistes œuvrent dans l’ombre, sans grande reconnaissance. En vieillissant un peu, j’ai compris que j’essaie de trouver un équilibre entre une approche un peu surréaliste mais accessible, et je pense que les critiques perçoivent cette ligne subtile. Je suis heureux qu’ils encouragent le public à découvrir mon univers — j’ai envie de le partager !

Oblivion
Cette œuvre explore l’idée que l’au-delà serait l’expression de nos propres conceptions d’un monde post-apocalyptique. Comment avez-vous choisi la musique pour un tel thème, et d’où vient votre inspiration ? Pensez-vous que l’humanité traverse actuellement ce que Nietzsche décrivait comme une ère pré-apocalyptique, marquée par les guerres et les tremblements de terre ?

C’est intéressant que vous mentionniez Nietzsche. Je viens justement de terminer une œuvre orchestrale inspirée de son concept de « l’éternel retour ». Je crois que nous vivons un moment très tangible dans un grand cycle humain. Vous soulignez la similitude entre notre conception de l’au-delà et nos visions de l’apocalypse ou de la révélation. Ces idées sont peut-être plus liées qu’on ne le pense. À l’origine, l’apocalypse désigne une révélation, un lever de rideau, et Oblivion s’interroge sur ce que cela ferait de se tenir au bord de ce rideau. Voudrions-nous vraiment savoir, si c’était possible ? Les personnages errants font des choix différents pour que le public puisse se demander : qu’aurais-je fait à leur place ? Je ne dis pas que l’au-delà est littéralement post-apocalyptique, mais que notre identité est si liée à la mémoire et à l’expérience vécue que, lorsqu’elles disparaissent, nous perdons parfois de vue qui nous sommes vraiment.

Le film s’ouvre sur une citation : « Nous arrivâmes sur la rive vide. Sur ces eaux, nul ne navigua jamais qui connût ensuite son retour. » Le scénario et la musique s’inspirent du Purgatoire de Dante. Comment cette dimension résonne-t-elle avec votre parcours personnel, vous qui avez grandi dans le désert de Sonora, à la frontière entre l’Arizona et le Mexique, avec une mère immigrée allemande, réfugiée de la Seconde Guerre mondiale ?

Dante est effectivement au cœur de l’opéra. Le dialogue entre les âmes errantes et les figures mythologiques fait écho aux conversations de Dante à travers les cercles du Purgatoire. Mon enfance a été marquée par des circonstances fragiles. Le désert de Sonora est magnifique, mais aussi impitoyable. Les économies frontalières y sont difficiles, même si l’on y trouve des communautés inspirantes, solidaires et généreuses. Bien que j’aie aimé y vivre, j’ai toujours eu la soif de voyage de ma mère, sans doute héritée de son histoire de réfugiée. J’ai donc grandi avec l’idée que tout est éphémère et incertain. Cette énergie traverse tout Oblivion.

Oblivion
Les précédentes productions d’opéra de Laine Rettmer ont été qualifiées de « wickedly smart » et « dévastatingly funny » par le New York Times, et « non seulement profondes mais aussi bouleversantes » par The Observer. Comment décririez-vous personnellement son style ?

Laine est une excellente réalisatrice et une artiste visuelle remarquable. Nous avions déjà collaboré avant Oblivion, et je voulais qu’elle dirige ce tournage. Elle a su diriger les musiciens avec justesse, et elle comprend comment amener des chanteurs d’opéra à jouer vraiment. C’est ce qui rend le jeu d’acteur si naturel dans Oblivion, malgré une atmosphère constante de surréalisme, renforcée par la musique. Au final, je trouve le résultat très “lynchien”, et cette dimension vient directement de notre collaboration.

Quelles sont, selon vous, les deux œuvres d’opéra les plus inspirantes de tous les temps ?

C’est trop difficile d’en choisir seulement deux ! Spontanément, je dirais Lulu et La Flûte enchantée. Mais demain, je répondrai peut-être autrement !

Oblivion
Parlez-nous du festival Etchings à Auvillar, que vous avez fondé en France, et de vos prochains projets.

Lorsque j’ai débuté ma carrière, il existait très peu d’espaces pour des artistes partageant mes centres d’intérêt. J’ai donc créé Etchings en France, afin de favoriser un dialogue entre musiciens américains et européens. Cela a élargi ma vision artistique grâce à ces échanges. Je suis très heureux de partager le prix du World Film Festival avec mes collègues américains, car c’est le fruit de cette ouverture. Mes prochains projets incluent de nouvelles œuvres orchestrales, un autre opéra et un nouveau film. C’est un sentiment merveilleux que de travailler à travers autant de médiums avec les bons collaborateurs. Qui sait où cela nous mènera ?

Quelle est votre vision du cinéma post-Covid ?

Je suis profondément honoré de recevoir le prix du Best Musical Film au World Film Festival in Cannes 2025, car je crois que l’opéra est un genre particulièrement adapté au cinéma d’après-Covid. Alors que nous entrons dans une période politiquement instable, les institutions artistiques doivent unir leurs forces pour offrir au public des œuvres stimulantes et porteuses de sens. L’opéra peut désormais s’appuyer sur le cinéma pour toucher un public plus large, sans perdre la mise en scène et la direction qui font sa force sur scène. Les formes hybrides sont l’avenir. Je suis honoré que le World Film Festival in Cannes ait perçu ce potentiel dans Oblivion, et j’espère que ce film servira d’exemple pour rapprocher encore davantage le cinéma et l’opéra.

BIO

Biographie de John Aylward

Biographie

« Nous entendons des figures rythmiques brillantes et énergiques… des sonorités et des harmonies imaginatives qui bougent toujours, qui se transforment sans cesse. Tout aussi saisissantes sont les zones de calme suspendu et d’apaisement d’un autre monde. »
American Academy of Arts and Letters

John Aylward est compositeur et artiste multimédia, installé à Northampton, dans le Massachusetts. Il est professeur de musique à la Clark University et directeur d’Ecce Arts, un ensemble et groupe de défense des arts du spectacle à but non lucratif.

Le Boston Globe décrit sa musique comme « délicate et profonde à la fois », tandis que Gramophone qualifie son œuvre de « mystérieuse, iridescente et audacieuse ». La revue canadienne Textura a salué son monodrame Angelus comme « une musique captivante d’un haut niveau », et Opera Wire a qualifié son récent opéra Oblivion de « pièce dramatique brillante ».

Lauréat de nombreuses distinctions, John Aylward a notamment reçu des prix et bourses du John S. Guggenheim Foundation, de l’American Academy of Arts and Letters, du Radcliffe Institute de Harvard, du Koussevitzky Commission (Library of Congress), du Fromm Foundation, de MacDowell, de Tanglewood, de l’Atlantic Center for the Arts, du Virginia Center for the Creative Arts, ainsi que le premier prix de l’International Society for Contemporary Music.

Son œuvre est profondément inspirée par la littérature et la philosophie. Le parcours de sa mère, immigrée allemande et réfugiée de la Seconde Guerre mondiale, a façonné son rapport à la guerre, au déracinement et à la migration. Son enfance dans le désert de Sonora, à la frontière entre l’Arizona et le Mexique, a nourri son imaginaire — un monde de contrastes, de lumière et de silence — dont les échos traversent toute sa musique.

John Aylward

Pour en savoir plus sur son travail : johnaylward.com

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