Best Director Documentary Feature Winners Gold Laurels
Best Cinematography Winners Gold Laurels
Giannis Kassis, Καλώς ήρθατε. Soyez le bienvenu au World Film Festival in Cannes et toutes nos félicitations pour votre prix du Meilleur Réalisateur de long-métrage documentaire et pour celui de la Meilleure Photographie ! Qu’est-ce que cette victoire vous inspire ?

Merci infiniment ! C’est un immense honneur d’être ici, au World Film Festival in Cannes, et de recevoir ces récompenses. Cette reconnaissance va bien au-delà d’une réussite personnelle : elle souligne le pouvoir de l’art, de l’histoire et du récit. Lalouda n’est pas simplement un documentaire ; c’est un voyage à travers le temps, à travers les sculptures de Michalis Kassis, explorant la survie, l’instinct et l’expression humaine.

Ce prix m’inspire à continuer de mettre en lumière des histoires méconnues — celles de personnes comme Michalis, dont l’art crée un lien entre passé et présent. Cela me pousse à explorer plus profondément la manière dont l’histoire influence nos instincts, et comment l’art devient une forme intemporelle de résistance et de survie. Surtout, cela me rappelle que le cinéma a le pouvoir de nous connecter tous, quelles que soient nos origines.

Michalis Kassis observant attentivement une pièce avec une loupe.
Comment avez-vous trouvé le sujet de votre documentaire ? Pourriez-vous nous en dire plus sur la signification de « Lalouda » ? En quoi le sens diffère-t-il du mot grec « Petra » ?

L’idée de Lalouda est née d’une profonde fascination pour le lien entre l’art, l’histoire et la survie humaine. Je me suis inspiré des sculptures de Michalis Kassis, dont l’art puise ses racines dans son expérience personnelle en Mani — une région marquée par une beauté sauvage, mais aussi par son histoire tourmentée, ses guerres et la lutte pour la survie.

Le titre Lalouda porte une signification particulière. Contrairement au mot grec « Petra« , qui signifie simplement « pierre », Lalouda est un terme local maniote qui évoque quelque chose de plus profond — ce n’est pas juste une roche, mais un symbole d’endurance, d’authenticité et de transformation. Ce terme reflète la manière dont Michalis perçoit les pierres du Mani :

Des témoins silencieux de l’histoire, façonnés par le temps et la main de l’homme.

En Mani, la Lalouda représente à la fois le physique et le symbolique. Elle parle de survie, de la coexistence entre l’homme et la nature, et de ces instincts façonnés au fil des siècles, exprimés à travers l’art. C’est un mot chargé de vie, tout comme les sculptures de Michalis, portant le poids du passé tout en pointant vers l’avenir.

Sculpture de visage en pierre issue du documentaire Lalouda.
La Grèce a toujours été considérée comme le paradis des dieux. C’est un pays magnifique, pourtant il est intéressant d’évoquer à quel point il a pu être rude et inhospitalier pour sa population locale, notamment en raison des formations rocheuses endémiques. Depuis la nuit des temps, le relief a dû forcer les habitants à perfectionner leur connaissance des plantes comestibles pour survivre. Les Grecs ont ainsi dû apprendre à se nourrir en broutant pour survivre pendant l’occupation allemande. Pourquoi cet aspect est-il si peu connu ?

C’est une observation très pertinente. La Grèce est souvent vue sous l’angle de sa beauté — le soleil, la mer, les ruines antiques — mais il existe une autre facette de son histoire, faite de lutte et de survie, en particulier dans des régions comme le Mani. Ce terrain rocailleux et inhospitalier a façonné non seulement le paysage, mais aussi ses habitants. Dans Lalouda, nous explorons comment la terre elle-même est devenue à la fois une difficulté et une enseignante. Par exemple, pendant l’occupation allemande lors de la Seconde Guerre mondiale, la survie dépendait souvent de connaissances ancestrales — savoir identifier les plantes sauvages comestibles, brouter comme les animaux, puiser dans des instincts transmis de génération en génération.

Il ne s’agissait pas d’un retour romantique à la nature, mais d’une réalité difficile. Je pense que cette histoire est peu connue parce que, pendant longtemps, l’accent a été mis sur les grands récits — les batailles, les révolutions — plutôt que sur les actes discrets et quotidiens de résistance et de survie. Les gens ne combattaient pas seulement avec des armes ; ils combattaient grâce à leur savoir :

connaître la terre, les saisons, et ce que les pierres et les plantes pouvaient leur offrir.

À travers les sculptures de Michalis Kassis, nous dévoilons cette couche méconnue de l’histoire. Son art ne représente pas les dieux mythiques — il parle de la persévérance humaine, de mains durcies par le travail, de corps façonnés par la lutte pour exister. Cela nous rappelle que l’identité grecque trouve ses racines non seulement dans la gloire antique, mais aussi dans la capacité de ses habitants à survivre envers et contre tout.

Michalis Kassis lit attentivement un livre dans son atelier.
Les générations précédentes vivaient dans des conditions extrêmement difficiles en Grèce. Pensez-vous que c’est la raison pour laquelle ce pays a produit des générations de sculpteurs ?

C’est une question très pertinente. Oui, je pense que les conditions difficiles en Grèce ont grandement influencé sa tradition sculpturale. La sculpture, par essence, consiste à travailler avec ce que la terre offre — la pierre, le marbre, le bois — des matériaux bruts qui ont survécu tout comme l’ont fait les habitants.

Dans des régions comme le Mani, où le paysage est rude et impitoyable, il existe une relation profonde, presque instinctive, avec la pierre. Elle n’est pas seulement un matériau artistique, elle fait partie intégrante du quotidien. Les habitants construisaient leurs maisons, leurs tours, leurs murs avec les mêmes pierres sur lesquelles ils marchaient. L’acte de sculpter la pierre, de façonner quelque chose d’aussi rigide, reflète la résilience de ceux qui vivaient sur cette terre.

Le travail de Michalis Kassis capture parfaitement cette réalité. Ses sculptures semblent porter tout le poids de l’histoire — on y ressent la lutte, la survie, les instincts des générations qui ont appris à coexister avec leur environnement. C’est comme si la terre elle-même enseignait aux hommes à sculpter, non seulement pour la beauté, mais comme une façon d’exprimer leur lien avec l’histoire, la survie et ce combat constant entre les mains humaines et la pierre impitoyable.

Donc oui, je crois que la Grèce a produit des générations de sculpteurs non seulement grâce à son héritage artistique, mais parce que la terre elle-même l’exigeait — elle apprenait à ses habitants à sculpter, autant par nécessité que par expression artistique.

Michalis Kassis travaillant avec un marteau et un burin.
Pour votre sculpteur, les outils en bois anciens sont les « diamants des personnes pauvres, isolées et oubliées« . À ce titre, ils devraient être sauvés, recyclés ou exposés dans un musée. Ce serait formidable si, à notre époque de consommation de plastique à usage unique, ces anciens outils en bois étaient reconnus comme aussi précieux que les pièces byzantines, pourtant si omniprésentes en Grèce.

Absolument ! C’est un point très important. Dans Lalouda, Michalis Kassis évoque souvent les outils en bois du passé comme les « diamants des pauvres » — de simples objets faits à la main, créés par des gens qui n’avaient presque rien, mais qui savaient parfaitement utiliser ce que la terre leur offrait. Ces outils, sculptés dans du bois local, portent les empreintes de générations oubliées. Ce ne sont pas simplement des objets fonctionnels, mais des symboles de survie, d’ingéniosité et de savoir-faire.

Dans le monde actuel, dominé par le plastique jetable, ces outils en bois prennent une signification encore plus profonde. Ils nous rappellent une époque où tout était réutilisé, recyclé et valorisé. Rien n’était jetable — ni les matériaux, ni les savoir-faire, ni même l’objet le plus simple.

Ce serait formidable que les anciens outils en bois soient exposés dans des musées avec autant de respect que les pièces byzantines. Tous deux racontent des histoires essentielles sur l’histoire humaine — l’une sur les empires et la religion, l’autre sur la survie quotidienne et la résilience. Ces deux aspects sont tout aussi importants, car ils reflètent différentes facettes de notre passé collectif.

Dans Lalouda, ce contraste fait partie intégrante du récit : comment un objet aussi humble qu’un outil en bois sculpté à la main peut avoir autant de valeur qu’une icône dorée. C’est une invitation à revoir ce que nous valorisons réellement, surtout à une époque de surconsommation. Peut-être que les véritables « diamants » ne sont pas les objets de luxe, mais bien ces outils de nécessité, façonnés par les mains humaines et transmis à travers le temps.

Portrait rapproché de Michalis Kassis lisant avec concentration.
Pour créer de la beauté, le sculpteur doit déformer la nature. La première règle de la sculpture, c’est que c’est au sculpteur de représenter (son idée). Ainsi, la sculpture dépasse l’humain. Nous savons que les anciens Grecs ne travaillaient pas d’après un modèle, mais directement sur le marbre. Est-il vrai que pour comprendre l’art, il faut revenir à la nature et aux gens ?

Tout à fait, c’est une façon profonde d’aborder cette question. La sculpture est, au fond, un paradoxe : pour créer de la beauté, l’artiste doit d’abord « blesser » la nature, en façonnant les matériaux bruts pour leur donner une nouvelle forme. Michalis Kassis en parle souvent :

chaque coup de ciseau sur la pierre est à la fois un acte de destruction et de création.

Les anciens Grecs comprenaient profondément cela. Ils ne travaillaient pas à partir de modèles vivants, mais directement avec le marbre, non pas en copiant la réalité, mais en exprimant une idée, une essence, allant au-delà de la simple forme humaine. Il s’agissait de saisir l’esprit, le mouvement et le sens plutôt que la ressemblance. C’est pourquoi leurs sculptures semblent vivantes et intemporelles.

Pour vraiment comprendre l’art, il faut effectivement revenir à la fois à la nature et aux gens — parce que l’art naît de cette relation. La nature fournit les matériaux — la pierre, le bois, la terre — mais c’est l’expérience humaine qui leur donne vie. La terre façonne les hommes, et les hommes façonnent à leur tour l’art.

C’est précisément ce que nous explorons dans Lalouda. Les sculptures de Michalis ne reflètent pas simplement sa vision personnelle — elles portent l’histoire du Mani, la lutte pour la survie, les instincts forgés par des générations vivant de la terre. Son art n’est pas séparé de la nature ; c’est un dialogue avec elle.

Alors oui, pour comprendre l’art, il faut renouer avec la brutalité de la nature et la complexité de l’expérience humaine. L’art n’existe pas en isolement — il est enraciné dans la terre et dans la vie de ceux qui le façonnent.

Sculpture représentant un visage émergeant de l'eau au crépuscule.
Votre documentaire est un grand voyage dans la Grèce d’autrefois, vu à travers le prisme de la culture populaire. Il offre un aperçu unique sur la création artistique ainsi que sur le combat acharné pour la démocratie et l’art. Pourriez-vous commenter cela ?

Merci beaucoup, cela me touche profondément. Lalouda est effectivement un voyage dans la Grèce d’autrefois, mais pas la Grèce des temples en marbre et des mythes anciens. C’est plutôt la Grèce de la survie brute, de la sagesse populaire et d’une résilience silencieuse. À travers l’art de Michalis Kassis, nous découvrons comment création et lutte sont intimement liées ; comment les habitants, même dans les périodes les plus difficiles, utilisaient leurs mains non seulement pour construire et survivre, mais aussi pour s’exprimer et résister.

La culture populaire, fondamentalement, ne se limite pas aux traditions — elle est une forme de démocratie. C’est l’art du peuple, par le peuple. Dans une région comme le Mani, où la vie était rude et le terrain impitoyable, l’art n’était pas un luxe, mais une façon d’enregistrer l’histoire, de communiquer et de résister à l’oubli. Les sculptures de Michalis reflètent cet esprit : elles racontent la guerre, la faim, l’apprentissage de la coexistence avec la terre. Elles rappellent que l’art est aussi une forme de contestation, une manière d’affirmer son existence face aux épreuves.

En un sens, Lalouda révèle que la lutte pour la démocratie ne se déroule pas seulement dans la rue, mais également dans les actes discrets de création, la préservation de la mémoire et la transmission des savoirs. Chaque pierre sculptée, chaque outil en bois, chaque chanson populaire est une forme de résistance contre l’oubli.

Donc oui, le documentaire montre que démocratie et art ont toujours été liés en Grèce — pas seulement lors des grands moments historiques, mais aussi dans le quotidien de ceux qui luttaient ardemment pour survivre et créer.

Une pierre turquoise immergée sous l'eau.
Avez-vous d’autres projets documentaires ou cinématographiques à venir ?

Oui ! Lalouda m’a donné envie de continuer à explorer la rencontre entre l’art, l’histoire et la résilience humaine. Mon prochain projet ira encore plus loin dans la découverte des savoir-faire et des traditions oubliés de la Grèce rurale. Il ne s’agira pas seulement de sculpture, mais aussi d’explorer comment d’anciens savoir-faire, comme le tissage, la forge ou la médecine par les plantes, sont préservés discrètement par quelques personnes dans des régions isolées.

Ce nouveau documentaire montrera que ces savoir-faire ne sont pas simplement des vestiges du passé, mais bien des traditions vivantes porteuses de connaissances essentielles sur la durabilité et la survie — des enseignements dont nous avons cruellement besoin aujourd’hui. Tout comme Lalouda explore le lien entre la pierre, la survie et l’instinct, ce nouveau film mettra en avant comment ces compétences menacées nous relient à la terre et aux autres.

Je développe également un court métrage qui mêlera fiction et documentaire, imaginant à quoi pourrait ressembler l’avenir si nous perdions ce lien avec les savoir-faire traditionnels. C’est une façon de poser la question suivante : que se passe-t-il lorsque nous oublions comment travailler de nos mains ?

Donc oui, beaucoup d’autres projets arrivent, et j’espère continuer à utiliser le cinéma comme moyen de préserver, interroger et célébrer les facettes cachées de l’histoire humaine.

Giannis Kassis tient son prix du World Film Festival in Cannes.
Quelle est votre vision du cinéma post-COVID ?

Le cinéma post-COVID, selon moi, doit être un moyen de se reconnecter — entre nous, avec nos racines et avec l’essence même du récit. La pandémie nous a forcés à l’isolement, mais elle nous a aussi rappelé l’importance des expériences partagées. Aujourd’hui, je crois que le cinéma a une responsabilité plus profonde : il doit non seulement divertir, mais aussi guérir, préserver la mémoire et susciter des conversations significatives.

Ce que je vois émerger, c’est un cinéma plus intime, centré sur l’humain. Des films comme Lalouda, qui explorent l’histoire à travers des récits personnels et méconnus, résonnent davantage aujourd’hui. Le public est en quête d’authenticité, d’histoires qui rappellent notre résilience collective. Les spectateurs souhaitent ressentir quelque chose de réel, quelque chose qui reflète à la fois les luttes et la beauté de la survie — exactement ce que l’art de Michalis Kassis exprime.

Je pense également que le cinéma post-COVID nous poussera à réinventer les espaces de diffusion. L’expérience en salle restera toujours magique, mais nous avons appris que les histoires peuvent circuler au-delà des salles traditionnelles — sur les plateformes numériques, dans des projections communautaires et même dans des lieux insolites en extérieur. Cela ouvre le cinéma à de nouveaux publics, le rendant plus démocratique et accessible. En définitive, je vois le cinéma post-COVID comme un pont, reliant le passé et l’avenir, l’isolement et la communauté, l’art et l’activisme. C’est une opportunité d’utiliser le cinéma non seulement comme une échappatoire, mais comme un moyen de réfléchir, de se souvenir et de reconstruire ensemble.

BIO

Biographie du IOANNIS KASSIS

Ioannis Kassis est né à Athènes, en Grèce. Diplômé de l’école de cinéma Papantonopoulou en 1995, il exerce depuis 1999 comme Directeur de la Photographie.

Il a participé à de nombreux projets allant du cinéma de fiction aux documentaires, en passant par des publicités télévisées, des clips musicaux et des films institutionnels. À ce jour, il a réalisé plus de 200 documentaires à caractère journalistique et écologique. Il travaille également à la réalisation et à la production de films institutionnels et événementiels, ainsi que de documentaires et de courts métrages de fiction.

©2025 Isabelle Rouault-Röhlich

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