ENTRETIEN AVEC GREGG JADEN, RÉALISATEUR DE « THE CURSE EFFECT »

Gregg Jaden, bienvenue au Festival du Film Mondial de Cannes. Félicitations pour votre sélection dans les catégories du Meilleur Film Spirituel/Mystique et du Meilleur Réalisateur de Documentaire Court. Quel processus créatif transversal vous a permis de passer du marketing au monde des documentaires ?

— Merci beaucoup. Je suis honoré de faire partie de votre festival, aux côtés de nombreux autres réalisateurs remarquables.

Le processus créatif était de le garder simple. J’ai dirigé le film pour raconter l’histoire aussi simplement que possible et j’ai essayé de laisser le public comprendre ce que c’est que d’avoir une malédiction vaudou. Je sentais que la seule façon était de montrer au public occidental à l’aide de visuels ce qu’est le vaudou et ce qui arrive aux victimes de ce type de malédictions. L’Effet Maudit est un monde totalement différent, auquel les Occidentaux pourraient avoir besoin de s’habituer davantage, et une histoire précieuse à partager.

Votre film montre que « le monde du vaudou ne se limite pas à la communauté afro-caribéenne et aux régions reculées du sud des États-Unis ». Ces rituels considérés comme invraisemblables ou irréalistes, également décrits comme relevant du domaine des contes de fées, existent également en Indonésie. Combien de temps vous a-t-il fallu pour mettre en place votre enquête et, plus tard, pour gagner la confiance de la communauté locale pour enquêter sur la culture vaudou ?

— Gagner la confiance de la tribu Dayak a été un énorme défi. Ils n’ont pas de téléphones portables ni d’accès à internet. Les messages ont été transmis de mes contacts à leurs contacts, et des discussions ont eu lieu de cette manière pendant plusieurs mois, en aller-retour. La tribu a dû m’approuver sur la base des messages de leurs ancêtres concernant mon énergie et s’ils pouvaient me faire confiance pour raconter cette histoire. J’ai appris que personne ne parvient à filmer la tribu Dayak de cette manière. À travers mes voyages en Indonésie, j’ai toujours entendu ces histoires de vaudou, que ce soit dans un taxi, en discutant avec des habitants, ou même en mangeant de la nourriture locale. C’est une façon pour la culture de gérer les différends entre eux.

Vous nous emmenez à Bornéo, où la tribu Dayak est vénérée et redoutée. C’est une tribu qui invoque la magie noire et le vaudou. Les malédictions vaudou des Dayak sont connues en Indonésie. Nous entendons parler du cas de Keanu Hardianus, qui tombe soudainement malade. Tout le monde croit qu’il a été maudit. Il a été diagnostiqué avec un cancer du foie. Sa famille a décidé de refuser la proposition du médecin d’opérer et de faire appel à des sorciers. Parlez-nous-en davantage, et aussi, comment et pourquoi avez-vous été attiré par cette histoire ?

— Dans mes voyages, j’ai rencontré d’innombrables récits imprégnés du mystère des malédictions vaudou. Que je me trouve à l’arrière d’un taxi ou en train de siroter un café dans un café isolé, les habitants partageraient ces contes, décrivant le vaudou comme une justice invisible. Dans certaines cultures, les différends s’enveniment jusqu’à la bagarre, tandis que d’autres s’engagent dans des rivalités amères, mais à Bornéo, en Indonésie, le vaudou sert de médiateur le plus rapide des conflits. Ce qui m’a vraiment captivé, cependant, c’est une histoire de survie contre une malveillance insondable – une histoire qui défiait les plus sombres des malédictions. Les détails complexes de ce récit m’ont tenu en haleine, et la perspective de capturer la culture énigmatique des Suku Dayak à l’écran était une opportunité qui murmurait « une fois dans une vie ». J’ai reconnu le défi presque impossible qui se présentait à moi, mais l’attrait de dévoiler les mystères voilés entourant les effets du vaudou sur ses victimes m’a poussé à entreprendre ce voyage.

Salués comme dangereux et prêts à attaquer à tout moment, les Dayaks vous apparaissent comme « gentils, attentionnés et respectueux de l’environnement », une tribu où tout le monde respecte la terre et les autres. Pourquoi cette dichotomie entre mythe et réalité ?

— Je crois que les siècles de traditions vaudou et la justice qu’elles ont cultivée ont profondément imprégné cette culture. J’ai observé une société profondément dévouée à la survie et à la préservation de leur habitat forestier. Ils utilisent généralement les rituels vaudou à des fins bénéfiques pour aider leur tribu mais certains mauvais éléments apprennent à les utiliser à des fins sombres. Cependant, lorsque quelqu’un ose croiser leur chemin ou menace leurs coutumes, traditions ou sécurité, ils mobilisent non seulement la protection de leurs ancêtres mais aussi leur détermination innée à se protéger eux-mêmes, tout comme le ferait n’importe quelle espèce, utilisant le vaudou comme leur arme redoutable.

Je crois que favoriser de telles croyances communautaires non seulement contribue à assurer un environnement à faible taux de criminalité au sein de leur communauté, mais aussi inculque un profond sentiment de respect de soi et de révérence pour la terre. De plus, cela forge une forte camaraderie entre eux, les unissant pour se protéger mutuellement des menaces potentielles posées par les étrangers.

Vous avez trouvé les Dayaks en danger. Leurs droits coutumiers sont ignorés, et les compagnies d’huile de palme cherchent à les expulser de leurs terres. Leur chef déclare : « Si la forêt est éteinte, si la nature est endommagée, alors la coutume elle-même sera endommagée aussi. Nous devons tous prendre soin de l’environnement et équilibrer nos vies. Parce que si nous détruisons les forêts, quel sera le destin de nos enfants et petits-enfants ? (…) Si notre terre est endommagée, alors nous serons tous endommagés. Nous devons trouver un terrain d’entente avec notre gouvernement. » Quelles sont les chances que cet accord soit trouvé ? Pendant que nous parlons, le sommet COP28 est en cours. N’est-il pas temps pour une action véritable en faveur des tribus et communautés du monde ?

— Je suis incertain de la mesure dans laquelle leurs voix seront reconnues. Leur compréhension est enracinée dans les aspects traditionnels de leur culture, qui sont essentiels au parcours évolutif de leur peuple. Cependant, d’après ce que je sais, ils manquent de l’expertise juridique nécessaire pour les négociations concernant les droits fonciers et la protection. Il est désolant de constater que, parfois, la coexistence harmonieuse entre les humains reste insaisissable. Tout au long de ce processus, j’ai cherché à maintenir une position neutre, guidant le Chef pour exprimer ses sentiments véritables. Je crois vraiment qu’avec des efforts sincères, ils peuvent tous collaborer harmonieusement pour revendiquer leur place légitime dans le monde.

Revenons à la souffrance de Keanu. À la fin, Keanu est sauvé après une nuit intense aux portes de la mort. Les guérisseurs s’étaient placés dans une bulle protectrice pour repousser le mal vers un autre monde. Le guérisseur a conseillé à Keanu de ne pas enfreindre les règles et de ne pas baisser sa garde. Keanu dit qu’il savait qui/quoi l’avait rendu malade, et que cela est lié au fait qu’il était au plus bas dans sa vie. Il peut maintenant apprécier la vie. Il ne veut pas se venger. La magie a fonctionné et s’est vengée de l’homme qui l’avait maudit. Les conseils du guérisseur sont-ils transposables à nos cultures occidentales ? Comment pouvons-nous être inspirés à changer ?

— Excellente question. Absolument, les conseils offerts sont universellement applicables à toute l’humanité. Nous possédons une boussole morale inhérente qui influence nos choix et nos comportements, indépendamment de nos origines culturelles. Réfléchissez aux nombreux exemples dans votre propre vie où vous avez ressenti un sentiment d’équilibre karmique ou reçu des signes d’une force supérieure vous dirigeant vers ou loin de quelqu’un ou quelque chose pour votre protection.

Les mots « ne pas enfreindre les règles » du guérisseur que j’ai interprétés comme ne pas se laisser tromper par l’ego et s’éloigner de sa boussole morale pour nuire aux autres. La culture occidentale moderne s’est, à bien des égards, un peu détachée spirituellement, personne que je connais ne médite et avec notre utilisation constante de dispositifs connectés à Internet nous déconnectant de nous-mêmes, il est difficile de vivre dans le moment présent et notre essence spirituelle. Je crois que nourrir notre connexion spirituelle est essentiel, reconnaissant la présence d’une énergie d’âme en nous qui abrite une sagesse et une vérité profondes.

Parlez-nous de vos prochains projets documentaires et cinématographiques éventuels.

— J’aimerais bien le faire. J’ai un autre sujet qui est choquant et qui a la capacité d’être filmé de près et personnellement. Mais je dois le garder confidentiel jusqu’à la phase de production.

Et enfin, quelle est votre vision du cinéma post-Covid en une courte déclaration ?

— C’est un sentiment merveilleux de reprendre la vie. Le cinéma occupe une place spéciale dans nos cœurs. Chaque jour est un cadeau précieux, et je crois que s’attarder dans la peur ne nous prive que des moments inestimables que nous avons. La vie est courte, il est préférable de vivre maintenant.

©2024 Isabelle Rouault-Röhlich